Le 4 mars 2024, un événement historique a eu lieu. Pour la première fois, un pays a inscrit l’avortement dans sa constitution et ce pays, c’est le nôtre. Une fois n’est pas coutume, les larmes qui ont inondé la place de la République étaient provoquées par la joie. L’avenir nous dira si cet événement ouvre en effet la voie à d’autres progrès en matière d’égalité femmes-hommes mais pour l’heure, faisons le point sur la situation actuelle.
Évolution des mœurs, un pas en avant, trois pas en arrière ?
Lorsque l’on prend de la hauteur sur la thématique de l’égalité femmes-hommes, en voyant le verre à moitié plein, les grands mouvements féministes à l’instar de #metoo ont permis de libérer la parole sur un bon nombre de sujets. En résultent des progrès de plus en plus prégnants, notamment en termes de sensibilisation sur les thématiques que recouvre l’égalité femmes-hommes.
Affirmer que les mœurs ont largement évoluées en la matière, a minima en France, ne semble pas être un excès d’optimisme. En témoignent les comparatifs de micros-trottoirs que peut faire l’INA sur des thématiques comme le viol ou l’avortement justement.
Il est d’ailleurs désormais de mauvais ton de tenir des propos ouvertement sexistes en bonne société. Un phénomène de bon augure qui témoigne d’un changement de mentalité en profondeur, n’est-ce pas ?
Question rhétorique, hélas. Certes, la libération de la parole a ouvert des portes, et cela mérite d’être célébré. Pourtant, les femmes restent les premières victimes de violences sexistes et sexuelles, de viols de guerre, de mutilations culturelles ou de menace sur leurs droits humains fondamentaux. L’actualité nationale et internationale ne cesse de nous le rappeler.
Et lorsque l’on se penche sur l’étude du Haut Conseil à l’égalité sortie en début d’année, force est de constater que le sexisme progresse en France, et semble même s’ancrer dans la société puisque, à l’inverse des idées reçues, il n’est pas l’unique apanage des dits « boomers » mais bien un travers de plus en plus présent chez les jeunes générations.
Plus de la moitié des hommes entre 25 et 34 ans ont le sentiment que questionner le patriarcat et l’accès à l’égalité femmes-hommes constitue un acharnement à l’égard de la gent masculine. 70 % pensent, par ailleurs, que c’est bien à l’homme qu’il appartient d’entretenir financièrement sa famille pour être respecté dans la société.
De facto, rien de choquant à ce qu’un homme sur cinq de la même classe d’âge considère normal d’avoir un salaire plus élevé que son homologue féminin. Les femmes ne sont malheureusement pas en reste en termes de réflexions alarmantes. La tendance des Tradwifes explose par exemple auprès des plus jeunes. Figurez-vous une maison à la campagne, une jeune femme avec un tablier et un charmant bambin sous chaque bras, prête à dégainer une tourte au poulet fumante ou un plumeau en attendant son mari rentrant du travail et vous y êtes. Si dans l’absolu il n’y a rien de mal à souhaiter une vie de femme (ou homme) au foyer, le problème réside ici à l’essentialisation de la femme dans un rôle sexiste circonscrit à ses fonctions reproductrices et de gestion du foyer. Nous n’avons tout de même pas vécu plus de 70 ans de luttes féministes pour revenir aux tropismes rétrogrades des années 50 !
Ces chiffres et tendances témoignant d’une vision d’un autre âge n’émanent en l’occurrence pas d’un reportage de l’INA mais sont bien le reflet d’un recul des mentalités chez les Millennials et la génération Z. Un constat inquiétant vu que ce sont les adultes d’aujourd’hui et de demain aux mains desquels reposera l’égalité femmes-hommes.
Selon le Financial Times, un véritable clivage idéologique est en train de se creuser entre les femmes et les hommes de la génération Z, et ce à l’échelle internationale.
Les hommes seraient en effet de plus en plus réactionnaires et les femmes plus progressistes, ce qui s’observe notamment dans les scrutins où l’écart libéral/conservateur n’est plus tellement générationnel mais bel et bien genré. D’après les chercheuses en sciences politiques Anja Durovic et Nonna Mayer, en France, cette scission s’est aussi observée lors de la dernière élection présidentielle où les prises de position sexistes et misogynes d’Eric Zemmour ont rebuté la gent féminine et séduit au contraire davantage d’hommes.
Est-ce à dire que nous vivons un recul total en termes d’égalité femmes-hommes ? Jetons un œil au cadre professionnel, un terrain de premier ordre pour éprouver le concept d’égalité femmes-hommes.
Égalité femmes-hommes au travail, du progrès mais peut mieux faire
Si l’égalité femmes-hommes recouvre une variété de sujets allant bien au-delà des entreprises, ces dernières constituent à la fois des observatoires et des laboratoires des avancées et reculs en la matière. Et de prime abord, rien de bien réjouissant.
Selon le HCE et d’après 80 % des personnes interrogées, les inégalités femmes-hommes s’observent en effet à plusieurs niveaux de l’entreprise : l’évolution des carrières, l’occupation de postes à responsabilités et la rémunération.
Avec encore et toujours, une sur-représentation des femmes dans certains secteurs d’activité (le soin par exemple) ou, à l’inverse, une sous-représentation déplorable (le numérique entre autres). Une invisibilité qui a pour conséquence néfaste d’alimenter des biais sexistes dans les outils et algorithmes que nous concevons. A ce stade de la lecture, « cercle vicieux » et « serpent qui se mord la queue » sont peut-être les expressions que vous cherchez pour décrire la situation, mais tenez bon, on a quand même quelques bonnes nouvelles.
A défaut de ramener le soleil, la fin du mois de février a apporté le dernier baromètre Equileap et s’il reste encore beaucoup de travail, la France ne serait pas si mauvaise élève par rapport à ses camarades européens. Nous sommes en effet les meilleurs en termes d’égalité femmes-hommes au travail puisque la France est classée première. Le baromètre inclut la proportion de femmes dans les organes de direction, les politiques de lutte contre le harcèlement sexuel ou les différences salariales.
D’après les Echos, au regard du cadre législatif encadrant le travail, tout porte à croire que nos progrès devraient se poursuivre notamment avec la révision de l’index d’égalité mais aussi grâce à la loi Rixain dédiée à la féminisation des organes de direction des entreprises.
Cependant, il faudrait encore attendre 2030 pour que les entreprises comptent au moins 40 % de femmes dirigeantes. L’évolution est lente mais néanmoins constante au point que le sujet n’est plus un élément différenciant de discours mais un attendu normatif.
En communication : l’espoir est permis !
En communication, il est intéressant de relever les campagnes participant à un changement d’imaginaires sur notre vision binaire et sexiste des genres.
Côté BtoC, et notamment chez les marques lifestyle, on observe un véritable shift sur la représentation des genres qui sont de moins en moins manipulés avec des biais stéréotypés. La masculinité est repensée au prisme d’une approche moins viriliste (cf. la campagne Je t’aime mec de Jules, 2023) et l’on ne peut manquer d’évoquer le tour de force de Mattel avec la plus grosse opération de brand content jamais réalisée à travers le film Barbie. Un film qui, à défaut d’être parfait (mais quel film l’est ?), a eu le mérite de démocratiser encore davantage la réflexion autour du sexisme et de l’égalité femmes-hommes. A la suite de son rapport publié en janvier dernier, le HCE a également lancé une campagne d’ampleur pour « faire du sexisme de l’histoire ancienne ». La dernière campagne du programme Stand Up porté par L’Oréal et dédié à la lutte contre le harcèlement de rue est quant à elle actuellement en display dans le métro parisien. Elle normalise le fait qu’aucune faute n’incombe aux victimes, quelle que soit leur apparence, et que le problème vient et viendra toujours des agresseurs.
Côté corporate, l’égalité femmes-hommes est désormais un incontournable des discours de marque, des programmes RSE et des arguments marque employeur.
A titre d’exemple, chez les cabinets de conseil, notamment les Big Four, l’engagement sociétal se fait particulièrement au prisme de la place des femmes dans le secteur. Une stratégie qui vient nourrir l’image de marque employeur et l’attractivité auprès des populations jeunes, vivier principal de profils à recruter, mais qui distille finalement aussi une approche plus égalitaire du travail. Quand on sait que 34 % de la génération Z et 31 % des millennials considèrent que le travail est un levier de changement pour faire évoluer les mœurs en matière de diversité et d’inclusion et qu’¼ des jeunes dit avoir rejeté une mission pour des raisons éthiques, il y a matière à penser que le combat peut se poursuivre (en partie) grâce à la communication corporate et RH.
Alors en ce 8 mars 2024, quelles conclusions tirer de tout ça ?
En dépit des récentes études et des signaux faibles évoqués en termes de comportements, on peut espérer une tendance au progrès en termes d’égalité femmes-hommes. Une mobilisation générale va en tous cas dans ce sens, ne serait-ce que pour assurer un avenir politiquement et socialement plus inclusif. Pour autant, la vigilance demeure de rigueur, l’engagement de tout un chacun ET chacune également. Cela implique en premier lieu une posture humble : le processus de construction d’une égalité femmes-hommes va de pair avec une déconstruction constante des réflexes que nous avons collectivement intériorisés. A ce titre, quitte à enfoncer des portes ouvertes, rappelons le rôle essentiel de la formation.
En second lieu, si la réflexion et la remise en question sont essentielles, le passage à l’action est aussi nécessaire. Faire bouger les lignes en faveur d’une société plus juste et inclusive suppose également d’agir en avant-garde, d’oser prendre des risques. En tant que communicantes et communicants, c’est notamment repousser les limites de nos imaginaires, explorer de nouveaux champs sémantiques et graphiques et adopter des postures motrices du changement. Si l’on devait remodeler une réplique culte issue de la pop culture (Spider-Man pour ne pas le citer) : la communication est un pouvoir, et ce pouvoir implique de grandes responsabilités.