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Tribunes

21 juin 2024

Anthony Perrière

Créativité et responsabilité : les meilleures ennemies ?


« C’était mieux avant ! » 

Cette phrase, nous n’avons de cesse de l’entendre conjuguée à toutes les sauces. Et si c’était aussi le cas pour la communication ? Régulièrement tancée pour son manque de créativité, pour l’ennui voire la détestation qu’elle génère, la publicité française est souvent renvoyée à son « âge d’or » des années 1980 à 2000, où tout était permis… 

D’une certaine manière, on pourrait affirmer que l’imagination débridée d’une époque n’a plus réellement cours de nos jours. On peut prendre l’exemple du marché des eaux en bouteille. La célèbre lionne de Perrier mise en images par Jean-Paul Goude a laissé sa place au chic des terrasses parisiennes, tandis que les iconiques bébés d’Evian ont été remplacés par des « montagnes de jouvence » plus littérales.  

Insolence, humour, choc, empathie : rares sont les campagnes actuelles qui font encore surgir des émotions fortes, dans des tunnels publicitaires abreuvés à la performance et à la rationalité. Rares sont les communications qui parviennent encore à surprendre l’internaute ou le spectateur. Si la question du politiquement correct est particulièrement épineuse dans les débats sociétaux, elle l’est aussi dans nos milieux de communicants. 

Cette entropie créative serait-elle imputable à la responsabilité de plus en plus importante qui irrigue nos métiers et nos réflexions d’agences ? Est-on forcément moins surprenants dès lors que les cahiers des charges se remplissent de contraintes et autres mentions légales ?  

Bien heureusement, on ne se moque plus et on ne choque plus de façon malsaine. Faire consensus, sans heurter, quitte à produire une publicité molle ? Est-on encore capable de provoquer sainement ? On se souvient encore de la polémique sur la campagne du dévendeur de l’ADEME, qui avait osé parler de déconsommation, provoquant un certain tollé chez les industriels… 

Dès lors que les causes le justifient, qu’il s’agisse du réchauffement climatique, de la violence faite aux femmes ou du climat politique délétère, la communication ne manque pourtant pas d’audace et d’intention pour alerter et faire adhérer de manière créative, originale. Certes, les marques et les entreprises qui les défendent sont sous le feu des projecteurs en matière d’éthique et de responsabilité, attendues au tournant pour manifester leurs engagements… Mais rappelons-nous que la contrainte est mère de créativité ! 

Essayons de déplacer le sujet dans un tout autre domaine, celui de l’humour, et de son questionnement connexe : « Peut-on encore rire de tout ? ». Les points communs avec la publicité sont plus nombreux qu’il n’y paraît, puisque dans les deux cas, le sentiment prédominant est celui d’une certaine nostalgie, d’une liberté idéalisée et désormais censurée.  

Pourtant, en y regardant de plus près, il s’agit surtout de bannir des visions, représentations et propos insultants ou dégradants, mais cela n’empêche pas d’ouvrir d’autres chemins. Ce n’est pas parce qu’on enlève une possibilité parmi une infinité, que l’infinité en question se réduit. Le spectre s’ouvre simplement sur d’autres idées. Oui, on ne peut plus rire de choses indécentes aujourd’hui, mais hier, aurait-on vraiment pu accepter l’humour d’une Blanche Gardin ou d’un Jérémy Ferrari ?  

Peut-être qu’en lieu et place de la responsabilité, la focale devrait être orientée ailleurs pour mieux expliquer nos peines créatives. Ainsi, Jérôme Denis, CEO de La PAC, énonce-t-il un constat très juste pour nos industries : « On peut parfois avoir le sentiment que le pratique remplace le talent ». 

En effet, dans un champ d’expertise où le progrès technique et technologique est exponentiel, on peut aisément affirmer qu’il était plus « facile » de faire de la publicité avant, lorsqu’il y avait moins de supports, de paramètres, de contraintes et d’enjeux qu’aujourd’hui. Des outils comme ceux de l’IA générative montrent ainsi très bien la nécessaire montée en compétences des équipes d’une part, mais aussi le besoin d’en libérer le potentiel créatif face aux biais qu’elle induit. 

Dans le même temps, il ne faut pas oublier non plus la dégradation progressive des conditions de travail avec la réduction des rémunérations d’agence, des délais… Le contexte dans lequel évolue la profession n’est évidemment pas étranger à cette course à la performance à moindre prix, où la juste valeur et l’importance de la créativité sont malheureusement sous-évaluées. 

Osons l’hypothèse suivante : et si, finalement, la responsabilité n’était pas l’ennemie de la créativité mais sa meilleure alliée pour la faire renaître ?  En gardant toujours au cœur l’idée de produire des idées, des points de vue, des positions uniques pour les marques, nous sommes collectivement capables de renouveler le pouvoir performatif d’une communication à impact positif. A ce titre, saluons notamment le mouvement collectif de la profession, avec le lancement en mai dernier des Nymphéas, premiers prix de la communication à impact positif.  

Cette initiative nous incite collectivement à pousser plus loin l’inventivité et la transformation durable de nos usages et pratiques créatives. Elle fait d’ailleurs remarquablement écho à une tribune de 2020 co-signée par Mercedes Erra, Franck Gervais et Laurent Habib intitulée « Avant d’interdire », rédigée alors en réponse aux projets de loi limitant la liberté publicitaire. Une phrase en particulier résonne toujours comme un mantra : « La communication peut devenir le bras armé de la transition. Plus on en privera les entreprises, plus la transition aura du mal à se mettre en place ». 

Alors pour tordre le cou à notre constat de départ : non, ce n’était pas mieux avant, c’était juste différent. Peut-être plus simple, mais avec sûrement moins d’impact. Il ne faut plus opposer sobriété et désirabilité, mais tout faire au contraire pour les réconcilier. Pour que la créativité devienne notre première responsabilité, et que la responsabilité soit la première source de notre créativité !